Bartholomée, par la grâce de Dieu archevêque de Constantinople-Nouvelle Rome et patriarche œcuménique

A la plénitude de l'Eglise
soient données la grâce, la miséricorde et la paix
de la part de notre Sauveur, le Seigneur de la paix

Dimanche 22 mai 2011

Frères et enfants bien-aimés en Christ,

Lors de la célébration de la divine liturgie, après avoir glorifié le nom divin et béni le royaume céleste, nous demandons trois choses au Seigneur: "la paix", "la paix venue d'en-haut" et "la paix pour le monde entier". Nous aspirons de tout notre cœur à ce que notre monde reflète le royaume de Dieu et que l'amour de Dieu règne "sur la terre comme au ciel".

Pourtant, bien que la paix occupe une place centrale dans notre prière, il n'en va pas de même dans nos pratiques. En tant que disciples fidèles du Seigneur de la paix, nous devons constamment rechercher et préconiser sans relâche des manières d'agir qui rejettent la violence et la guerre. Il se peut, certes, que les conflits humains soient inévitables dans notre monde, mais ce n'est pas le cas de la guerre ni de la violence. Si ce siècle restera dans les mémoires, ce pourrait bien être pour avoir recherché "ce qui convient à la paix" (Rm 14,19).

Si la quête de la paix a toujours constitué un défi, la situation que nous vivons actuellement est sans précédent, à deux égards au moins. Premièrement, jamais encore il n'a été si facile pour un groupe de personnes d'en éliminer autant d'autres d'un seul coup; deuxièmement, jamais encore l'humanité n'a été autant en mesure de détruire une si grande part de notre environnement. Nous affrontons des circonstances radicalement nouvelles, qui exigent de nous un engagement tout aussi radical en faveur de la paix.

C'est pourquoi nous saluons avec une grande joie le Rassemblement œcuménique international pour la paix, organisé par le Conseil œcuménique des Eglises COE à Kingston, Jamaïque, du 17 au 25 mai 2011. Cette manifestation constitue la digne conclusion – en même temps que la continuation – de la Décennie "vaincre la violence", lancée par le COE pour rassembler et renforcer à l'échelle mondiale les efforts et les réseaux des Eglises visant à lutter contre la violence et pour susciter de nouvelles initiatives dans ce domaine.

La quête de la paix exige un revirement radical par rapport à ce qui constitue le mode normal de survie dans notre monde. La paix exige la conversion (metanoïa), l'engagement et le courage. En outre, l'instauration de la paix constitue un choix individuel et institutionnel. C'est à nous qu'il incombe soit d'aggraver la souffrance qui frappe notre monde, soit de contribuer à la guérison de celui-ci. Je le répète: il s'agit d'opérer un choix.

La justice et la paix sont des thèmes centraux des Ecritures. Mais les chrétiens orthodoxes ne sauraient manquer de se référer à la grande tradition de la Philocalie, qui souligne qu'en dernière analyse, la paix commence toujours dans les cœurs. Comme l'écrit saint Isaac le Syrien au 7e siècle, "si tu fais la paix avec toi-même, le ciel et la terre feront la paix avec toi". Pourtant, cette paix intérieure doit se manifester dans tous les aspects de notre vie et de notre monde. C'est ce que souligne le Rassemblement de la Jamaïque avec le choix de ses quatre sous-thèmes: paix dans la communauté, paix avec la terre, paix sur le marché et paix entre les peuples.

Dans un monde toujours plus complexe et violent, les Eglises chrétiennes reconnaissent que l'instauration de la paix constitue l'expression primordiale de leur responsabilité envers la vie du monde. Elles sont mises en demeure de dépasser les simples condamnations rhétoriques de la violence, de l'oppression et de l'injustice, pour manifester leurs positions éthiques par des actes qui contribuent à une culture de la paix. Cette responsabilité est fondée sur la bonté intrinsèque de tous les êtres humains, qui vient de ce qu'ils ont été faits à l'image de Dieu, et sur la bonté intrinsèque de tout ce qui a été créé par Dieu.

La paix est indissolublement liée à la justice et à la liberté, don et vocation accordés par Dieu à tous les humains en Christ et par l'œuvre du Saint Esprit. Elle constitue un mode de vie qui reflète la participation humaine à l'amour de Dieu pour le monde. La nature dynamique de la paix, don et vocation, n'abolit pas les tensions qui constituent un élément intrinsèque des relations humaines, mais elle peut atténuer leur force destructrice en instaurant la paix et la réconciliation.

Pour l'Eglise, la paix et son instauration constituent un élément essentiel de sa vie et de sa mission dans le monde. Elle fonde cette conviction sur l'intégralité de la tradition biblique, correctement interprétée par sa pratique et son expérience liturgiques. L'eucharistie offre l'espace où se discerne et se vit la plénitude de la foi chrétienne dans l'histoire de la révélation divine. Elle reflète l'image de l'existence trinitaire de Dieu dans les humains et se rattache par l'amour à l'ensemble du monde créé.

L'expérience eschatologique d'être en communion avec Dieu et d'avoir part à son amour pour le monde créé offre la clé herméneutique qui permet à la communauté d'interpréter la plénitude de la tradition chrétienne, y compris les Ecritures, les structures de la vie de l'Eglise et sa mission dans le monde. L'amour est au cœur de la révélation de Dieu en Jésus Christ. C'est pourquoi, dans la tradition patristique, les textes violents des Ecritures étaient interprétés comme une référence à la lutte spirituelle du croyant contre le diable, le mal et le péché. Il découle de cette interprétation que dans l'optique patristique, le Dieu de Jésus Christ et la foi chrétienne ne sauraient être identifiés à la violence.

Mais, paradoxalement, nous ne pouvons prendre conscience de la portée de nos attitudes et de nos actes sur les autres et sur notre environnement naturel que si nous sommes prêts à sacrifier quelques-unes des choses qui nous sont devenues les plus chères. Bon nombre de nos efforts en faveur de la paix sont vains parce que nous ne sommes pas disposés à renoncer à notre désir d'amasser, au gaspillage de la consommation effrénée et à l'orgueil nationaliste. C'est pourquoi, pour instaurer la paix, il est essentiel que nous prenions conscience de la portée de nos pratiques sur les autres – en particulier sur les pauvres – et sur notre environnement. Voilà précisément pourquoi il ne peut y avoir de paix sans justice.

"Heureux ceux qui font œuvre de paix; ils seront appelés fils de Dieu" (Mt 5,9). Devenir et être appelés enfants de Dieu, c'est renoncer à ce que nous voulons au profit de ce que Dieu veut, et renoncer à ce qui sert nos intérêts au profit de ce qui respecte les droits des autres. Nous devons reconnaître que tous les êtres humains, et non seulement quelques-uns, ont le droit de partager les ressources de ce monde.

Telle est la paix que notre Seigneur ressuscité a offerte à ses disciples et telle est l'espérance de notre Seigneur pour tous ses enfants. C'est cette même paix, "qui surpasse toute intelligence" (Ph 4,7), que nous invoquons sur vous tous, du trône martyr et de l'Eglise mère de Constantinople.

 

Votre fervent intercesseur devant Dieu

BARTHOLOMÉE,

archevêque de Constantinople-Nouvelle Rome

et patriarche œcuménique