04.08.09 12:07 Il y a: 3 yrs

La République démocratique du Congo, une "urgence oubliée" – Entretien avec Anna Muinonen

 

Anna Muinonen avec des enfants du camp de Nzulo © Fredrick Nzwili/COE Photo en haute résolution

 

Par Fredrick Nzwili (*)

 

Anna Muinonen est la coordinatrice du programme pour la République démocratique du Congo (RDC) de FinnChurchAid, une organisation membre d'ACT International qui apporte des secours d'urgence aux victimes du long conflit qui sévit dans ce pays d'Afrique centrale.

 

En RDC, pays riche en ressources minérales, les combats ont entraîné le déplacement de milliers de personnes depuis 1998. Bien qu'en 2003 un accord de paix ait apporté un semblant de paix dans certaines régions, permettant aux personnes déplacées de retrouver leurs foyers, la situation dans les provinces du Sud-Kivu et du Nord-Kivu, dans l'est du pays, reste volatile.

 

Du 9 au 11 juillet, une délégation oecuménique internationale s'est rendue à Bukavu et Goma, capitales des provinces du Sud-Kivu et Nord-Kivu. Le groupe, ainsi que quatre autres voyageant dans d'autres parties du pays, sont venus en RDC en tant que "lettres vivantes" au nom du Conseil oecuménique des Eglises (COE), pour écouter, apprendre et se montrer solidaire avec les Eglises congolaises.

 

C'est à Bukavu, située à l'extrémité sud du lac Kivu, et à Goma, sur sa rive nord, que se concentrent les efforts des agences humanitaires dans l'est de la RDC.

 

En ville, tout a l'air normal. Les marchés regorgent de bananes, de tomates et de fruits variés. Les femmes portent des paniers sur leur tête et négocient. Des paniers remplis de poisson et même de viande sont à vendre. Parfois, des embouteillages se forment dans les rues défoncées.

 

Mais cette image pacifique contraste avec la présence de casques bleus de l'ONU, qui indique que tout ne va pas si bien ici.

 

Lors de sa rencontre avec la délégation de lettres vivantes au camp pour personnes déplacées de Nzulo, à Goma, Anna Muinonen a répondu à des questions sur le travail d'entraide réalisé par ACT International.

 

Comment l'organisation ACT répond-elle aux besoins des personnes qui sont prises dans l'étau du conflit depuis toutes ces années dans l'est de la RDC?

 

Le forum d'ACT s'efforce de venir en aide aux victimes des diverses guerres en RDC. En novembre dernier, nous avons élaboré un appel d'urgence pour aider les personnes qui ont fui les récents combats ayant eu lieu au Nord-Kivu en octobre-novembre. Nous travaillons actuellement à la mise en oeuvre de cet appel d'urgence. Par exemple, ici [au camp de Nzulo], un membre d'ACT, l'Aide de l'Eglise norvégienne, a mis en place un projet lié à l'eau et aux systèmes sanitaires. Les conditions d'hygiène dans les camps pour personnes déplacées sont vraiment affligeantes quand on voit le nombre de personnes qui restent ici, le peu de latrines prévues et le manque d'eau potable. Ainsi, l'Aide de l'Eglise norvégienne a mis en place ici un système de distribution d'eau et a aidé les gens à construire des latrines. D'autres membres d'ACT contribuent en apportant leur aide dans différentes régions du Nord-Kivu.

 

L'accent est mis sur les activités agricoles, en distribuant des semences à la fois aux personnes déplacées et à leurs communautés d'accueil, car l'aide alimentaire ne dure que quelques semaines, au maximum quelques mois. Après cela, les gens se retrouvent sans rien. Nous les aidons donc à cultiver leur propre nourriture et à atteindre un niveau minimum d'autosuffisance.

 

Comment les personnes déplacées peuvent-elles mener des activités agricoles lorsqu'elles vivent dans des camps?

 

En fait, la plupart des personnes déplacées au Congo vivent dans des familles d'accueil, et non pas dans des camps. Les camps sont en réalité généralement la dernière option pour les gens. La plupart du temps, quand les gens doivent fuir les conflits, ils essayent de fuir vers des régions où ils ont de la famille - même distante - ou là où ils peuvent trouver des membres de la même Eglise. L'hospitalité de ces familles d'accueil est vraiment phénoménale. Certaines personnes accueillent jusqu'à cinq familles dans leur tout petit foyer.

 

Dans ces cas-là, les membres d'ACT aident les gens à négocier avec les autorités locales ou les Eglises locales pour qu'elles leur donnent un petit bout de terrain, afin qu'ils puissent ensemble, avec la communauté d'accueil, cultiver au moins quelques produits agricoles. Normalement, presque toute la production est consommée, mais parfois, une petite part peut être vendue et la recette peut être utilisée pour acheter d'autres biens.

 

Quelles sont les difficultés auxquelles vous êtes confrontée dans votre travail?

 

Dans cette région, le conflit n'est pas terminé, malheureusement. Les mêmes personnes qui fuient puis, après quelques mois, rentrent dans leur région d'origine, doivent partir à nouveau, souvent même plusieurs fois par an. Il est donc vraiment difficile d'aider les gens à se stabiliser et à reconstruire leur vie. Généralement, de retour dans leur région d'origine, ils trouvent leur maison pillée, leurs champs détruits et tous leurs outils agricoles volés ou cassés. Les membres d'ACT s'efforcent d'aider ceux qui rentrent à recommencer leur vie, mais le conflit qui se poursuit reste la principale difficulté.

 

Dans certaines régions, les partenaires d'ACT travaillent dans des contextes très dangereux. Par exemple, la région du Sud-Lubero, dans le centre du Nord-Kivu, est une zone très dangereuse en ce moment. Des pillages ont lieu quotidiennement dans les villages et les véhicules sont pris d'assaut presque tous les jours sur les routes.

 

Donc l'une des difficultés est aussi que nous ne pouvons pas nous rendre à certains endroits où les gens ont désespérément besoin d'aide mais où l'accès est restreint à cause de l'insécurité.

 

Pensez-vous qu'il reste des personnes prises au piège du conflit et que vos efforts n'ont pas atteintes?

 

Absolument - soit parce qu'elles ont dû fuir vers des zones qui sont encore plus éloignées du périmètre de travail de la plupart des agences humanitaires, soit à cause de contraintes logistiques dues au fait que l'infrastructure routière en RDC est pratiquement inexistante. Certaines des routes qui existent sont trop dangereuses à cause des attaques de groupes armés et de bandits. Donc oui, il y a des zones où les gens sont coincés et ne bénéficient de quasiment aucune aide.

 

Pourquoi, selon vous, le conflit se poursuit-il depuis si longtemps?

 

Je crois que le conflit en RDC est l'un des plus complexes. On pourrait le qualifier d'urgence oubliée, en partie parce qu'il est si compliqué à comprendre. Il est difficile de trouver les causes qui en sont à l'origine et de les traiter. Lorsque le conflit ne se déroule pas dans la population elle-même, il est difficile de mettre en oeuvre un travail de paix et de réconciliation. Il a peu de choses à faire au niveau de la société civile, car ce ne sont pas les civils qui se battent entre eux.

 

Il y a plusieurs groupes armés, locaux et étrangers. Les richesses naturelles du Congo se sont avérées être une malédiction pour le pays, puisque ce sont des intérêts économiques divers qui entretiennent le fonctionnement de ces milices.

 

Quel est l'impact du travail d'entraide réalisé par les Eglises?

 

Dans le réseau d'ACT, nous cherchons à faire ce qui est possible avec les ressources dont nous disposons. Par ailleurs, les Eglises congolaises, qu'elles soient membre du forum d'ACT ou pas, font un travail énorme. Ce sont essentiellement les Eglises qui ont maintenu le système éducatif et le système de santé dans l'est de la RDC pendant toutes ces années de conflit.

 

Les Eglises sont partout. Je parlais de ces zones où les gens sont pris au piège, où aucune agence humanitaire ne peut aller, à cause des contraintes logistiques et sécuritaires, mais les Eglises sont là-bas. S'il n'y a pas d'école dans un village, les Eglises vont généralement s'organiser pour offrir un minimum d'instruction aux enfants. Les Eglises entretiennent également un certain nombre de centres de santé et d'hôpitaux.

 

Pourriez-vous décrire en un mot le conflit en RDC?

 

Je dirais qu'il s'agit de la définition même d'une urgence humanitaire complexe.

 

(*) Fredrick Nzwili est un journaliste freelance basé à Nairobi, Kenya. Il travaille comme correspondant d'Ecumenical News International (ENI).

 

 

Fichiers audio: écoutez les commentaires (en anglais) d'Anna Muinonen sur

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Travail d'entraide d'ACT International (en anglais)