12.12.08 15:12 Il y a: 3 yrs

Le travail domestique des mineurs en Haïti ou l'enfance sacrifiée

 

Par Manuel Quintero (*)

 

En créole haïtien, on les appelle des "restavek", du français "reste avec", parce qu'ils vivent dans des familles qui ne sont pas les leurs. Mais ces enfants sont loin de recevoir toute l'attention qu'il leur faut: leurs familles d'accueil les traitent comme des esclaves.

 

En Haïti, 180 000 à 300 000 enfants - les chiffres varient selon les sources - travaillent comme employés de maison. Environ 8 à 10 % des Haïtiens de moins de 18 ans sont dans cette situation qui les prive de leurs droits fondamentaux.

 

Ces enfants sont la catégorie sociale la plus vulnérable dans un pays en proie à une pauvreté extrême, une forte dégradation de l'environnement, une corruption endémique et une instabilité politique chronique. Beaucoup d'entre eux sont nés dans de grandes familles défavorisées à la campagne et leurs parents les envoient dans des familles d'accueil en espérant qu'ils seront bien nourris et bien traités.

 

"Au lieu de cela, ils passent leurs journées à effectuer des tâches domestiques harassantes et on les bat fréquemment, lorsque leur travail ne satisfait pas la famille d'accueil", a expliqué Wenes Jeanty, qui dirige le Foyer Maurice Sixto, à une délégation de Lettres vivantes du Conseil oecuménique des Eglises (COE).

 

Les "Lettres vivantes" sont de petites équipes oecuméniques internationales qui se rendent à divers endroits dans le monde où des chrétiens s'efforcent de vaincre la violence. Fin novembre, l'une de ces équipes - constituée de chrétiens de France, des Pays-Bas, du Liban, du Canada et de Cuba - s'est rendue dans la capitale haïtienne Port-au-Prince et dans d'autres régions touchées par les récents ouragans.

 

La délégation s'est arrêtée au Foyer Maurice Sixto pour mieux connaître le sort de ces enfants vivant en esclaves domestiques, qui sont victimes d'une servitude profondément enracinée dans l'histoire du pays.

 

De nombreux "restaveks" perdent le contact avec leur famille biologique. Certains sont ballotés d'une famille d'accueil à l'autre sans qu'on leur demande leur avis et sans que leurs parents en soient informés. Les maltraitances physiques et psychologiques sont courantes, selon Wenes Jeanty.

 

Le Foyer Maurice Sixto a été fondé en 1989 avec l'aide de Terre des Hommes, une organisation caritative basée en Suisse. Le foyer a été nommé d'après Maurice Sixto (1919-1984), un célèbre intellectuel haïtien qui avait dénoncé les abus des élites nationales vis-à-vis des travailleurs domestiques mineurs.

 

"Notre mission est de venir en aide aux enfants et aux jeunes contraints de quitter leur famille biologique pour être placés dans une famille d'accueil. Quand ils ont terminé de travailler, ils viennent au Foyer pour profiter de l'instruction, des animations et des possibilités de faire un peu d'artisanat", a indiqué Wenes Jeanty.

 

"Tous les enfants sont égaux"

 

Situé à Carrefour, un faubourg pauvre et densément peuplé du sud de Port-au-Prince, le Foyer travaille avec quelque 300 enfants, essentiellement des jeunes filles. Elles y reçoivent un repas chaud chaque jour, ainsi qu'une assistance médicale et dentaire dans une clinique toute proche où des médecins haïtiens proposent leurs services gratuitement.

 

Le Foyer oeuvre également dans les familles d'accueil, afin de sensibiliser celles-ci aux besoins des enfants serviteurs, et de les responsabiliser. "Nous leur disons que tous les enfants sont égaux et qu'ils ont les mêmes droits", a expliqué Wenes Jeanty.

 

Il n'y a pas de solution toute trouvée à cette situation complexe, dans un pays à forte croissance démographique, où la moitié de la population vit sous le seuil international de pauvreté, fixé à 1 dollar EU par jour, et où 76 % des habitants vivent avec moins de deux dollars par jour.

 

"Malheureusement, ces enfants ne peuvent pas être libérés de cette servitude. Les ressources manquent pour pourvoir à leurs besoins, on ne peut pas les renvoyer dans leurs familles biologiques et on ne peut pas leur trouver de familles plus attentionnées pour les accueillir", a-t-il affirmé.

 

Néanmoins, le Foyer Maurice Sixto s'assure qu'au moins quelques-uns des "restaveks" d'Haïti aient la possibilité et le temps de jouer, de s'exprimer et de jouir de leur identité propre. "Nous nous évertuons à leur rendre l'enfance à laquelle ils ont droit", a conclu Wenes Jeanty.

 

A l'issue de la visite, les membres de la délégation de Lettres vivantes se sont engagés à dénoncer le sort de ces esclaves domestiques de notre époque. "A travers ses Eglises membres, le COE doit pouvoir défendre la cause de ces enfants auprès des gouvernements et des organisations internationales", a déclaré Geneviève Jacques, qui emmenait la délégation de Lettres vivantes.

 

(*) Manuel Quintero, de Cuba, dirige le programme Frontier Internship in Mission, qui est basé à Genève, en Suisse.

 

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Informations complémentaires sur la visite des Lettres vivantes en Haïti

 

Eglises membres du COE en Haïti (en anglais)